Le texte ci-dessous est extrait d’une conférence donnée par Georgette Blaquière en 1983 à une session de formation bergers-noyaux à Ploërmel (Morbihan). Il n’a rien perdu de son actualité pour nous aider à mieux saisir le dynamisme de toute vie spirituelle. Nous avons conservé le style oral de cette intervention.
Je baliserai trois étapes en mettant des nuances. Il est sûr que nous n’allons pas dire : « Je quitte aujourd’hui la première étape pour entrer dans la seconde ». Il y a des allées venues, des retours en arrière et de brusques avancées. Mais, disons que, en gros, il y a trois grandes étapes.
Avant ce que nous pouvons appeler la conversion, nous étions des païens soumis aux idoles qui nous terrifiaient, à la loi qui nous paralysait ; nous étions peut-être aussi de bons juifs, de bons chrétiens. Quand l’Esprit Saint est venu nous saisir dans le Renouveau ou ailleurs, il nous a fait entrer dans l’expérience et la révélation que Dieu se manifeste comme vivant dans nos vies, qu’il se met à exister pour nous, que nous pouvons vivre des relations personnelles avec Lui.
• Le serviteur
Voilà comment nous entrons dans la première étape, celle du bon et fidèle serviteur. Nous étions là, au chômage sur la place ; le maître est sorti, il nous a embauchés. Entre maître et serviteur sont nées des relations de confiance et même d’amitié. Le maître aime ce serviteur qui va faire valoir les richesses de son maître. Le serviteur, lui, est fidèle et regarde avec admiration son maître : « Comme les yeux du serviteur sont levés sur le maître, comme les yeux de la servante sur les mains de sa maîtresse, ainsi nos yeux vers toi, Seigneur» (Ps. 123).
Le serviteur s’attache à son maître. Malgré sa fatigue et le poids du jour, il veille pour lui ouvrir la porte dès qu’il rentrera au milieu de la nuit. C’est une des béatitudes. «Heureux le serviteur que le maître à son arrivée trouvera éveillé» (Lc 12, 37). Le maître prend soin de lui ; c’est le maître qui va le servir lui-même. Certes, ce serviteur est tout prêt à donner sa vie pour son maître. Mais, malgré des relations d’obéissance et de confiance, il demeure le serviteur. Il sert son maître dans la confiance, mais il ne connaît pas encore les secrets et les projets du maître.
• L’ami
Un jour le maître lui dit : « Je ne t‘appellerai plus serviteur mais ami parce que tout ce que j’ai connu de mon Père, je te l’ai fait connaître» (cf. Jn 15, 15). Passer du serviteur à l’ami, c’est entrer dans la connaissance du mystère du Cœur du Père, de la sagesse du Père. Il ne s’agit pas d’une différence affective. Il s’agit d’entrer dans des relations plus profondes plus égalitaires. Dieu veut partager avec son peuple les projets de son Cœur. L’Écriture dit : « Le pays sera rempli de la connaissance de Dieu, tous me connaîtront du plus petit jusqu ‘au plus grand» (cf. Is.11,9 ; Jér.31,34).
Voilà une nouvelle effusion de l’Esprit. Une première effusion de l’Esprit nous avait libérés de la loi et des idoles et fait de nous de bons et fidèles serviteurs. Une nouvelle effusion va nous faire entrer dans la connaissance de Dieu. À présent, il s’agit de devenir des confidents du Cœur de Dieu qui veut nous faire contempler le dessein de sa miséricorde dans le monde et dans nos vies.
• Les épousailles
La troisième étape sera de passer de la connaissance de Dieu à la communion dans « un même être avec Lui » (Rm 6, 5) ; c’est une étape d’épousailles, d’amour préférentiel.
Devenir un même être comme des époux dont chacun est la chair de la chair de l’autre, ainsi sommes-nous appelés à entrer en communion avec Dieu, à vivre avec lui dans une conformité de plus en plus profonde, comme en témoigne Saint Paul dans ce texte magnifique de l’Épître aux Philippiens (3, 7) : « Tout ce que j’avais, je l’ai tenu pour un désavantage, une balayure à cause du Christ. Je tiens tout pour désavantageux au prix du gain suréminent qu’est la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur (voilà l’ami). Pour lui, j’ai accepté de tout perdre, je regarde tout comme déchets, afin de gagner le Christ (l’acquisition du Saint Esprit) et d’être trouvé en Lui, n’ayant plus ma justice à moi, celle qui vient de la loi, mais celle qui vient de la foi au Christ et qui s’appuie sur la foi ; le connaître, lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, lui devenir conforme dans la mort afin de parvenir si possible à ressusciter d’entre les morts ».
Voilà les étapes : être libérés de nos esclavages, entrer dans la connaissance du Cœur de Dieu, être conformés au Cœur de Dieu ; comme nous le disons dans cette prière : « Cœur de Jésus, rendez mon Cœur semblable au vôtre ».
Entre ces conversions, il y a des passages au désert (purifications passives, purifications actives) ; purifications qui viennent de Dieu lui-même pour pouvoir répondre à l’amour du Père manifesté en Jésus Christ. En réalité, ce cheminement est beaucoup plus souple que dans les livres de spiritualité : c’est dans le livre de nos vies qu’il nous faut apprendre à lire.
Mme Georgette Blaquière. Revue «Pentecôte» n° 61, oct. 2005, pp. 14-15