Marianne Durano Essayiste et professeure de philosophie « La Croix » présente cette semaine quatre jeunes femmes alliant engagement féministe et foi catholique. Aujourd’hui, Marianne Durano, 31 ans, professeure de philosophie, appelle les femmes à se réapproprier leur corps. Journal La Croix du 15 septembre 2022.
Marianne Durano décrit son adolescence comme « tout à fait lambda ». Issue d’une famille athée, elle a pris la pilule à 16 ans, perdu sa virginité à 17. Après cette première relation sexuelle, elle a dû avaler en catastrophe la pilule du lendemain. Devenue adulte, étudiante en philosophie à l’École normale supérieure (ENS), elle fréquentait des milieux LGBT, et pratiquait une sexualité légère.
Ce n’est qu’à 21 ans, lorsque son futur mari lui pose la question de la contraception, que Marianne Durano – devenue catholique – prend conscience de la « domination masculine ». Son copain ne voulait pas être père si jeune, ni lui imposer la pilule. L’étudiante se rend soudain compte qu’elle a le choix. « Pour la première fois, je rencontrais un garçon qui ne dissociait pas la sexualité de la fécondité », se souvient-elle. Sa fécondité n’était plus vue comme « un obstacle pénible » dont elle devait elle-même gérer « les désagréments », mais comme une responsabilité qui les concernait tous les deux. Dans son regard, elle voit pour la première fois « de l’admiration pour sa féminité ».
De cette première prise de conscience découlera une réflexion sur le féminisme, que Marianne Durano développera dans un livre, Mon corps ne vous appartient pas (Albin Michel, 2018). Âgée de 31 ans, mère de trois enfants, celle qui est aujourd’hui professeure de philosophie et membre de la revue d’écologie intégrale Limite y dénonce l’emprise de la technique sur le corps des femmes. Iconoclaste, fondé sur la critique de la technique, le féminisme de Marianne Durano fait coexister une forme d’écoféminisme avec des valeurs traditionnelles.
Dans son essai, elle confie une expérience fondatrice, traumatisante. À 23 ans, enceinte de son premier enfant, elle se retrouve allongée, « les fesses à l’air », sur la table d’une gynécologue qui appuie, lors de l’échographie, sur son ventre jusqu’à lui faire mal parce qu’elle ne parvient pas à voir l’oreille de son bébé. « Pourquoi n’ai-je rien dit ? », s’est-elle ensuite demandé, consciente d’avoir vécu une violence assez commune.
Pour elle, cette « lente domestication » prend sa racine dans « l’éducation sexuelle des jeunes filles », à qui l’on apprend que leur fécondité « est un problème », dont la solution – la contraception – est « technique » et doit être réglée par un spécialiste. Elle dénonce aussi les touchers vaginaux non nécessaires, « sorte d’étape initiatique quand on est une jeune fille », analyse-t-elle.
Face à cela, Marianne Durano aspire à ce que les femmes réapprennent à aimer leur corps. « La fécondité est un pouvoir », affirme-t-elle, et donner la vie « quelque chose de beau ». Pour le faire comprendre, il faut à ses yeux valoriser « les attributs de la féminité », comme l’image de la femme enceinte. Surtout, cesser de ne montrer que « la jeune fille désirable, qui, une fois qu’elle a un enfant, n’est plus bonne à rien ».
En valorisant le corps de la femme, Marianne Durano ne risque-t-elle pas d’essentialiser la féminité et de promouvoir un modèle familial traditionnel ? Tout en considérant que « la réalité corporelle de l’homme et de la femme implique des vécus très différents », elle se défend de toute essentialisation, qui peut servir « une vraie domination ». « Je ne vois pas le rapport entre avoir ses règles et être dans la douceur et l’abnégation », cite-t-elle, raillant ces stéréotypes. « Nous sommes libres dans un corps de femme », pose-t-elle avant d’interroger : « De quelles vertus avons-nous besoin pour vivre sereinement ce corps ? »
En 2013, Marianne Durano manifestait avec la Manif pour tous. Si elle regrette aujourd’hui d’avoir « blessé », elle ne revient pas sur sa position. Depuis 2019, l’agrégée de philosophie a emménagé avec sa famille dans un « éco-hameau » à La Bénisson-Dieu (Loire). Elle tente de mettre en cohérence « conversion écologique et conversion au Christ ». Avec son mari, elle y alterne le travail salarié, pour qu’il y en ait toujours un des deux au foyer. Dans le village, les femmes s’entraident pour garder les enfants.
À la question de savoir ce qu’elle dirait à des femmes qui choisiraient de vivre sans mari ni enfants, Marianne Durano estime qu’il faut « faire ses choix en connaissance de cause ». C’est-à-dire accepter qu’il est plus compliqué d’avoir des enfants passé un certain âge. « Qu’on ne fasse pas croire aux femmes que tout est possible ! » lance-t-elle. « Notre société choisit la facilité qui consiste à bercer les citoyens de promesses et d’illusions techniques, au lieu de donner un sens et un visage humain à des réalités biologiques. »
Son inspiration. Le biopouvoir, selon Michel Foucault
« Quand j’étais les quatre fers en l’air sur la table de la gynécologue, ça a été le déclic : je n’ai pensé qu’au biopouvoir de Michel Foucault (1). C’est la principale inspiration de mon livre. J’ai ensuite découvert la littérature écoféministe, dont Vandana Shiva. Dans un chapitre passionnant de son livre, elle fait le lien entre domination coloniale, masculine et contraception chimique, en racontant comment l’aide alimentaire en Inde était conditionnée au fait que les femmes prennent la contraception. En France, j’aime beaucoup Camille Froidevaux-Metterie, qui esquisse une phénoménologie du corps féminin. Et Mona Chollet. »
(1) Ce type de pouvoir s’exerce sur la vie des êtres humains, en tant qu’individus ou population, par un État ou une religion.