Mgr Aveline, archevêque de Marseille

Entretien  : Mgr Jean-Marc Aveline, qui sera créé cardinal par le  pape François le 27 août, préside le Pèlerinage national à Lourdes,  organisé par la famille de l’Assomption jusqu’au mardi 16 août. Malgré  les fortes crises que traverse l’Église de France, l’archevêque de  Marseille partage à La Croix ses motifs d’espérance.  À ÉCOUTER AUSSI : SON INTERVIEW SUR RADIO NOTRE-DAME LE 12 AOÛT.           

Recueilli par Arnaud Bevilacqua et Benoît Fauchet (à Marseille), le 11/08/2022

La Croix : Vous avez appris le 29 mai votre création comme cardinal le 27 août, à l’occasion d’un consistoire. Qu’est-ce que cette nomination change pour vous ?

Mgr Jean-Marc Aveline : Je commence seulement à mesurer ce qui est en train de changer dans ma mission… J’avoue que c’est vertigineux, mais la joie et la prière des Marseillais me rassurent, et je souhaite garder cet ancrage dans ce qui est mon premier lieu d’apostolat. Je pressens aussi que ce cardinalat est de nature à renforcer les liens de fraternité que j’entretiens avec les évêques de France. Mais bien sûr, je sens un certain poids sur les épaules !

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Quel cardinal entendez-vous être ? Comptez-vous en profiter pour faire avancer cette « théologie de la Méditerranée » qui vous est si chère ?

Mgr J.-M. A. : Je ne me sens pas représentant d’une cause que je devrais faire avancer en profitant d’une situation avantageuse. Car ce qui caractérise un cardinal, c’est le lien avec le Saint-Siège et plus encore avec la personne du pape et le service de son ministère. Je ne connais pas encore le domaine d’action pour lequel il me demandera de l’aider davantage. Je sens bien que la question de la Méditerranée lui tient à cœur ; peut-être que cela nous vaudra l’occasion d’une visite à Marseille… Lors d’une discussion avec lui, j’ai d’ailleurs compris qu’il aimait Marseille parce qu’elle est sur une ligne de fracture qui est aussi un espace de rencontre : à la fois porte de l’Orient et porte de l’Occident.

Vous serez le seul cardinal occupant un siège épiscopal français, cela vous donne-t-il une place particulière dans l’Église de France ?

Mgr J.-M. A. : Pour le moment, mais il ne s’agit que d’une intuition, je pense que oui. Un cardinal, fût-il le seul – en en attendant d’autres – n’est toutefois pas le représentant des évêques de France. Mais je sens bien que cela me confère une mission particulière, notamment pour que l’on comprenne mieux à Rome ce qui est en train de se passer dans l’Église de France, ce qui se cherche au milieu des difficultés et des crises que nous traversons.

Au-delà de celles de Marseille, quel regard portez sur les fractures de la société française ?

Mgr J.-M. A. : Je suis préoccupé voire inquiet. Je constate qu’il y a chez nous une difficulté à débattre sans invectives. L’abstention aux dernières élections révèle un déficit de confiance envers ceux qui ont un engagement politique. Dans mes rencontres avec un certain nombre d’élus ici à Marseille et dans la région, je ne cesse de les encourager : il est bon que des personnes s’occupent de la Cité et s’engagent au service de leurs concitoyens.

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Mais la France aujourd’hui a besoin d’espérance ! Elle nourrit de trop grands doutes sur elle-même, sur sa vocation en tant que nation, sur ce qui, dans sa longue histoire, l’a dotée de richesses qui peuvent être utiles à d’autres. De ce fait, la note de la France en vient presque à manquer dans l’actuel concert des nations, parce qu’elle n’est pas assez sûre d’elle-même.

Vous décrivez une France affaiblie par ses fractures. Comment faire face à celles qui affectent l’Église de France ?

Mgr J.-M. A. : D’abord, revenir à Jésus-Christ et accueillir la communion que son Esprit veut tisser entre nous au service de l’amour dont le Père aime le monde. Ensuite, privilégier la mission, car c’est la raison d’être de l’Église : elle existe pour annoncer l’Évangile en servant la dignité de toute personne humaine, en œuvrant au service du bien commun, en travaillant à l’unité de la famille humaine et en aidant les consciences à rester en éveil, tout cela à cause de l’Évangile et dans un dialogue incessant avec tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Enfin, adapter régulièrement l’organisation interne de l’Église aux exigences toujours nouvelles de la mission.

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Avec la crise des abus sexuels, la sécularisation ou encore la crise des vocations, estimez-vous que l’Église de France va mal ?

Mgr J.-M. A. : Je ne crois pas qu’elle aille mal. Elle traverse, certes, une série de crises difficiles. Et ce n’est pas la première fois dans l’histoire qu’elle les vit un peu avant les autres. Je me souviens que, quand mes prédécesseurs allaient à Rome, ils étaient souvent sermonnés sur le manque de dynamisme de leurs diocèses. Maintenant que la vague de la sécularisation a atteint des contrées plus orientales, on nous demande plutôt conseil pour savoir comment tenir dans un tel contexte… Et puis, certaines crises sont salutaires. Le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) et le travail réalisé par l’épiscopat avec l’ensemble des fidèles nous rendent plus vigilants et attentifs aux personnes victimes et nous obligent à un vaste examen de conscience.

Le pape François a déjà fait remarquer le paradoxe de l’Église de France. D’un côté, elle doit affronter le rouleau compresseur d’une sécularisation qui agit peut-être plus fortement qu’ailleurs, en raison de l’option politique de la laïcité. Celle-ci présente des avantages, car elle place la citoyenneté au-dessus de la confessionnalité, mais elle comporte aussi le risque de se transformer en laïcisme, qui est comme une nouvelle religion. Et d’un autre côté, le pape souligne que l’Église de France est étonnante par la profusion de sainteté qu’elle suscite. Elle ne manque donc pas de ressources, comme je le constate souvent, notamment chez les jeunes.

Mgr Jean-Marc Aveline : « La France a besoin d’espérance ! »

Des visites ont été menées récemment dans des diocèses, à Toulon et Strasbourg, auprès de communautés nouvelles… Est-ce le signe que l’Église de France rencontre des problèmes de gouvernance, ou que Rome n’aime pas la France ?

Mgr J.-M. A. : D’abord, il faut reconnaître que la gouvernance, qu’elle soit ecclésiale, politique ou économique, est de plus en plus difficile. J’ai suffisamment reçu de responsables en ces domaines pour le savoir : aujourd’hui, celui qui exerce une autorité est très vite considéré comme une cible. Dans l’Église, les problèmes sont peut-être amplifiés par la dimension sacramentelle liée à la charge de ceux qui exercent un ministère épiscopal ou presbytéral. Un certain nombre d’habitudes sont aussi à revoir – ce que le pape François dénonce sous le nom de cléricalisme, qui ne touche d’ailleurs pas que les clercs. Mais qu’on dise que « Rome n’aime pas la France », non ! Rome aime suffisamment la France, au contraire, pour exercer, quand c’est nécessaire, une vigilance qui n’est pas un soupçon.À lire aussiDiocèse de Fréjus-Toulon, des dérives locales à la sanction romaine

Comment avez-vous accueilli les remontées du terrain dans le cadre du Synode sur l’avenir de l’Église ? Faut-il aller vers une église pleinement synodale ?

Mgr J.-M. A. : Sur ce sujet du synode, j’estime que la chose vaut mieux que le mot. Et je pense que l’adjectif synodal devrait au bout du compte disparaître puisqu’il serait devenu synonyme d’ecclésial. Au fond c’est une Église « ecclésiale » que nous voulons : une Église qui se départit d’un fonctionnement trop exclusivement hiérarchique.

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Avec ce synode, nous sommes dans un processus qui me paraît presque aussi important qu’un concile, à la différence que le pape François a voulu que la parole soit d’abord donnée à tout le peuple de Dieu. Ensuite, il faudra bien construire quelque chose avec tout cela. On voit se dessiner quelques lignes. Et aussi des limites : ont participé aux assemblées synodales des fidèles d’une certaine tranche d’âge, mais beaucoup moins les jeunes. Or une photographie des grands-parents ne donne pas une image juste de la famille et de son dynamisme…

Diriez-vous que l’Église a besoin de se réformer pour annoncer la foi dans un monde différent ?

Mgr J.-M. A. : L’Église est semper reformanda (« toujours à réformer ») : le jour où elle prétendrait ne plus avoir à se réformer, elle ne serait plus fidèle à son Mystère ! Mais il lui faut pour cela déployer à la fois une fidélité sans faille à la Tradition et une ouverture sans crainte aux questions du monde d’aujourd’hui. La Tradition est une affaire de responsabilité. Chaque génération se doit d’exposer le dépôt de la foi aux questions de son temps. La génération d’il y a cinquante ans n’avait pas de problème avec l’urgence climatique ni avec l’éthique biomédicale : nous oui ! Et c’est sur ces questions aussi qu’il nous faut rendre raison de notre espérance.

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En outre, je pense que le synode n’a pas encore donné tous ses fruits parce qu’il s’est beaucoup intéressé au fonctionnement. Or la raison d’être de l’Église, ce n’est pas de se regarder fonctionner, mais de servir la relation d’amour de Dieu pour le monde (Jn 3, 16).

La parole des évêques est-elle encore audible ? Sur quoi est-elle attendue et peut-elle être entendue ?

Mgr J.-M. A. : Selon ma petite expérience, il ne faut pas parler trop souvent, mais oser le faire à temps et à contretemps. Quand les évêques se font le relais des sans-voix, leur parole est entendue, même si elle dérange. Bien sûr, il faut toujours s’efforcer de vivre en accord avec ce que l’on dit. On ne donne pas de leçons ; on livre un témoignage, même s’il doit nous en coûter. Donc oui, j’estime qu’il est important que l’Église puisse prendre position. Cela dit, ce n’est pas parce que vous parlez que vous êtes entendus, même si on fait mine de vous écouter !

Vous présidez pour la première fois le Pèlerinage national. Avez-vous une relation particulière à Lourdes ?

Mgr J.-M. A. : J’y suis d’abord allé enfant, en famille. La simplicité de Bernadette, sa liberté, sa dignité, m’ont toujours beaucoup touché. Il se trouve que je revenais d’un pèlerinage diocésain quand j’ai appris, le 29 mai dernier, ma désignation comme cardinal. La veille, devant la Grotte, j’avais justement demandé au Seigneur la grâce de ne pas laisser ma joie être ternie par tous les soucis de la vie ecclésiale – et je le prie d’autant plus pour cela aujourd’hui !

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Ce Pèlerinage national est aussi une occasion de prier pour la France et pour la paix : quand je vois la dévotion mariale des Ukrainiens à Zarvanycia comme celle des Russes devant l’icône de Notre-Dame de Kazan, je me dis que nous ne pouvons pas subir la guerre sans confier ardemment à la Vierge Marie le désir de paix qui nous habite.

Le thème du pèlerinage 2022 est « Avec Marie, devenons témoin de l’espérance ». En ces temps troublés, comment garder des raisons d’espérer ?

Mgr J.-M. A. : Pour garder l’espérance, je crois à l’importance d’un travail intérieur de décentrement, qui consiste à apprendre à se réjouir de ce que la grâce de Dieu accomplit en d’autres personnes. C’est par cet appel à la conversion et à la réconciliation que l’Esprit Saint tisse entre nous la communion et l’oriente vers la mission. Je suis souvent en admiration devant des personnes de tous âges, croyants ou non, qui font avec sérieux l’expérience de la vie, de ses joies et de ses peines, et qui gardent au cœur, envers et contre tout, le désir de vivre et de faire du bien aux autres. Cela m’aide moi-même à témoigner de l’amour dont Dieu, en Jésus-Christ, aime le monde, pour le guérir et le sauver, et c’est cet amour qui est mon espérance.

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