Abus, mort, alcool, violence, drogue… La vie du pasteur Mick Fleming est marquée par une traversée de la souffrance, la sienne et celle des autres, et dont il témoigne dans son livre Rédemption, du deal à la vraie vie, Mame.
Site de La Croix, entretien Gilles Donada
Votre livre s’ouvre sur deux événements traumatisants que vous avez vécus à l’âge de 11 ans : le viol par un inconnu sur le chemin de l’école et, le lendemain, le décès de votre sœur, Ann, d’une crise cardiaque…
Mick Fleming : Oui. Ces événements vont déterminer la trentaine d’années qui vont suivre. Pour supporter l’immense souffrance qui m’envahit, j’avale les calmants que je trouve dans la pharmacie de ma mère puis je bois le verre de whisky que me tend mon père lors de la veillée funèbre. Leurs effets provoquent immédiatement une douce chaleur, un apaisement, une anesthésie de la douleur. À partir de ce moment-là, je vais tout faire pour chercher à en retrouver et prolonger ces effets.
Et votre vie bascule…
M. F. : Oui, car quelque chose s’est brisé en moi. La douceur de l’enfance laisse place à la colère, à la duplicité, à la haine. Je me trouve un nouveau but dans la vie : voler et détruire. À l’âge de 13 ans, j’ai accumulé beaucoup d’argent. Je ressens en moi une force nouvelle, une puissance que j’exploite, par exemple, dans de violentes bagarres avec mes camarades. La police sonne souvent à la porte de la maison. Désormais, je ne laisse plus personne me faire du mal, plus rien ne peut m’atteindre, plus rien ne va m’arrêter.
Devenu adulte, vous menez une double vie. D’un côté, il y a l’époux et le père de trois enfants ; et de l’autre, il y a Mad Mick (Mick le dingue, NDLR). Comment vivez-vous ce clivage ?
M. F. : Dans les premiers temps, j’arrive à mener une double vie. Je trompe mon entourage sur mes addictions, mes activités. Mes proches n’ont aucune idée d’où provient l’argent que je gagne. On pense que je suis un homme d’affaires ou un promoteur immobilier. Dans ma maison, à Burnley, je mène une vie fantasmée. C’est mon chez-moi, mon royaume, je m’y sens bien, en sécurité. J’emmène les enfants à la boxe ou au football. Je prends le thé avec ma femme.
Mais tout commence à s’effriter… Un jour la police fait une descente chez moi et trouve une arme à feu que j’avais cachée. Ma famille est terrifiée. Après cela, la police ne me lâche plus et je me retrouve souvent au commissariat. Les liens qui m’unissent à mes proches se détériorent. Je blesse mes enfants, ma femme, mes parents, mes sœurs… En parallèle, grâce au trafic de drogue, je gravis peu à peu les échelons du monde criminel. Mes choix me poussent lentement vers ma propre perte.
Deux événements, coup sur coup, vont changer le cours de votre existence. Le premier se produit le jour où, armé, vous allez réclamer une dette à un homme qui, vous le découvrez sur place, est accompagné de deux fillettes. Se produit alors un phénomène qui vous arrête net…
M. F. : Oui, je vois sortir des mains des petites filles blondes comme une lumière aveuglante qui dure une dizaine de secondes. Je suis saisi d’un terrible mal au cœur et je retourne dans la voiture où je commence à vomir partout, avec du sang. Et je me mets à crier vers Dieu, comme si c’était ordre : « Si tu existes, aide-moi ! » Et en guise de réponse : un silence abyssal.
Vous êtes si désespéré que vous attrapez votre revolver, vous le placez sous votre menton et vous tirez…
M. F. : Et le coup ne part pas ! Pourtant, ce revolver ne s’enraye jamais. Et je me mets à pleurer, sans pouvoir m’arrêter. Cela faisait trente ans que je n’avais pas pleuré, et voilà que mon corps s’écroule. Je suis tellement abasourdi que je me rends dans un terrain vague pour vérifier le fonctionnement de mon arme. J’appuie trois fois sur la détente. Trois coups claquent. Je n’en reviens pas !
Le lendemain matin, la police vous arrête, mais, cette fois-ci, elle vous fait interner dans un hôpital psychiatrique. Et c’est là que commence votre chemin de reconstruction…
M. F. : Oui, c’est là que je fais plusieurs expériences marquantes. Tout d’abord, c’est de me sentir désarmé, sans pouvoir sur les autres. Je suis traité comme un patient normal. Les gens n’ont pas peur de moi, ils sont gentils. Mais, pour moi, être gentil, c’était être faible… Comme je suis arrivé sans rien, des patients m’offrent des cigarettes, des vêtements et de l’argent. Comme ça. Gratuitement. Sans rien demander en retour.
Je commence à partager avec eux une proximité que je n’ai jamais connue. Et c’est là que je découvre que d’autres ont aussi été violés. Je n’en crois pas mes oreilles. J’ai toujours pensé que j’étais le seul… Nous nous soutenons les uns les autres. Ce qui me fait reconsidérer les liens avec mes proches. Je me rends compte de tout le mal que je leur ai infligé… À ma sortie, je suis hébergé dans un centre d’accueil pour sans-abri. Au groupe des Narcotiques anonymes que j’intègre, je trouve du soutien pour ne pas replonger dans l’alcool et les drogues.
Ce qui est marquant dans votre itinéraire, c’est que tout au long de ces années, vous avez entretenu une relation avec Dieu…
M. F. : Oui, à des moments clés, je me suis tourné vers lui pour lui demander de l’aide, comme ce jour-là, dans la voiture. J’ai conservé longtemps l’image d’un Dieu lointain… Je me demandais : Dieu existe-t-il ? Peut-il répondre à ma prière ? Se pourrait-il que Dieu m’aime, moi ? J’ai croisé sur ma route des personnes qui m’ont accueilli, soutenu, écouté. Et j’ai été aussi touché par des chrétiens qui me proposaient très simplement de prier avec moi et pour moi. Combien de fois m’a-t-on dit : « Mick, Dieu est avec toi. Il a de grands désirs pour toi. » Je ne comprenais pas vraiment ce que cela voulait dire. J’ai commencé à prier davantage Dieu, puis, plus précisément Jésus, que j’ai choisi comme guide aux Narcotiques anonymes (on parle de « puissance supérieure », chacun est libre de lui donner un visage), puis j’ai découvert « son copain l’Esprit Saint », comme je l’appelle.
Au début, je disais à Dieu ce qu’il devait faire ; ensuite c’est moi qui me suis mis à lui demander comment je pouvais le servir au mieux. Mon désir d’en savoir toujours plus sur Dieu n’a cessé de grandir. J’ai commencé par regarder des vidéos sur YouTube, puis je me suis inscrit à des cours de théologie à l’université. À l’époque, je vivais dans ma voiture… J’ai compris progressivement que Dieu m’appelait, qu’il avait besoin de moi pour accomplir certaines choses.
Qu’est-ce que votre expérience vous a enseigné sur le sens de la vie ?
M. F. : J’ai compris qu’il ne servait à rien de fuir la souffrance, car elle fait partie de notre existence ; je devais au contraire la traverser pour trouver une nouvelle vie. J’ai fui dans l’alcool, la drogue et la violence pour éviter de me confronter à ce que je ressentais intérieurement. Les choses ont commencé à changer à partir du moment où j’ai osé en parler autour de moi ; j’ai reconnu mon impuissance à me libérer par moi-même ; j’ai accepté de recevoir du soutien de la part des autres ; je m’en suis remis à Dieu qui m’a aidé à traverser la souffrance.
Si vous aviez devant vous le Mick de 11 ans, que voudriez-vous lui dire ?
M. F. : Question difficile… (Silence.) Je crois que je le prendrais tout simplement dans mes bras. Je lui dirais : je t’aime, n’aie pas peur. Tu as le droit de pleurer et de raconter ce qu’il t’est arrivé…
Dans votre livre vous témoignez de la façon dont votre expérience dans le milieu de la drogue vous a aidé dans votre ministère. De quelle manière ?
M. F. : Elle me permet de mieux venir en aide aux toxicomanes. Je sais ce que la drogue provoque sur le plan physique, mental et émotionnel, car j’ai moi-même traversé tous ces états. Mon expérience de trafiquant m’a aussi aidé à monter un réseau de distribution alimentaire durant le Covid, avec l’aide du père Alex, un prêtre anglican de l’église Saint-Matthieu, que j’avais rencontré fortuitement dans un café.
Comment s’opéraient les distributions ?
M. F. : Vous demandez à certaines personnes de déposer la « marchandise » dans des endroits
précis. Puis vous passez la récupérer et vous demandez à d’autres volontaires de venir vous aider à la répartir dans des sacs. Enfin, vous emportez le tout pour la livraison. Dieu s’est servi de ce que je savais faire. Pour moi, c’est une forme de rédemption ! (Rires.)
C’est aussi vrai pour votre rapport à la mort qui est omniprésente dans votre vie…
M. F. : Oui, j’ai perdu ma sœur, âgée de 20 ans, puis deux amis autour de mes 16-17 ans, à cause de la drogue et de l’alcool… Je m’attendais à mourir jeune : la vie ne valait pas grand-chose. Mon père est mort avant mon ordination. Ma mère ne m’a jamais vu sobre… Et quand vous êtes dans le milieu de la drogue, vous ne comptez plus le nombre de morts par surdose. Durant le Covid, c’était effrayant. Je célébrais presque un enterrement par jour.
Les gens ne mouraient pas tant du Covid que de la pauvreté. Je ne compte plus le nombre de suicides chez les personnes ayant des problèmes de santé mentale… Chez nous, à Burnley (situé à une trentaine de kilomètres de Manchester, NDLR), les habitants avaient soixante fois plus de chance de mourir que dans le reste du Royaume-Uni. La plupart n’avaient pas de quoi payer les obsèques, alors, à l’Église de la rue, nous avons financé les funérailles.
Vous êtes aussi engagé dans l’accompagnement des mourants…
M. F. : Oui, ce sont des moments où il ne faut pas se mentir mais être dans une grande vérité. La personne doit pouvoir confier ce qu’elle ressent, ce qu’elle pense, ce qu’elle veut, à quoi sa vie a ressemblé. A-t-elle des regrets ? A-t-elle peur ? De quoi a-t-elle besoin maintenant ? Y a-t-il quelque chose à dire ou faire après sa mort ? Nous sommes là, ensemble. Nous pleurons. Et nous recevons la paix.
Avez-vous peur de la mort ?
M. F. : Non, je l’ai tellement côtoyée. D’ailleurs, il y a quelques semaines, j’ai échappé à une crise cardiaque ! (Rires.) À l’hôpital psychiatrique, j’avais rencontré un jeune, qui a fini par se suicider. Il m’expliquait que mourir, c’était comme éteindre une télé. L’écran devient noir, puis plus rien. Pour moi, la mort, au contraire, c’est la lumière, la chaleur, la consolation, l’amour, la paix, la joie… C’est un autre voyage qui commence.
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Pasteur Mick Fleming, fondateur de l’Église de la rue
1966. Naissance dans une famille ouvrière catholique. Son père est laveur de carreaux.
1977. Victime d’un viol. Décès brutal de l’une de ses sœurs.
1980. Il deale de la drogue (il a 14 ans).
1983. Premier mariage, puis naissance de trois enfants.
2009. Arrestation puis internement dans un hôpital psychiatrique. Conversion.
2010. Hébergé dans un centre pour SDF.
2013. Création de l’Église de la rue (Church on the Street), qui vient en aide aux personnes en grande pauvreté.
2019. Ordination comme pasteur au sein d’un réseau international d’Églises évangéliques charismatiques, le TICCN (The International Christian Church Network).
2020. Remariage. Premier reportage de la BBC sur l’Église de la rue.
2022. Visite de William, prince de Galles, et de Kate Middleton à l’Église de la rue.