Marguerite de Lasa, La Croix 25/12/23
Explication. Dans la tradition chrétienne, la Terre sainte renvoie aux lieux attachés au souvenir du passage du Christ. Cette expression ambiguë comporte toutefois le risque de sacraliser la terre.
Pour les chrétiens, la notion de Terre sainte a d’abord une valeur d’héritage. L’usage de cette notion remonte au bibliste Origène, au III siècle, puis s’étend au V siècle. Mais juifs et chrétiens en ont une interprétation différente. « Pour les juifs, elle a une portée eschatologique relative au salut d’Israël », explique l’historienne Camille Rouxpetel dans son ouvrage L’Occident au miroir de l’Orient chrétien : Cilicie, Syrie, Palestine, Égypte (XII-XIV siècle) (École française de Rome, 2015). « Tandis que les chrétiens l’associent d’abord au passé, concrétisé par les lieux saints identifiés dans les Écritures, ainsi que par les sanctuaires, églises et monastères édifiés par la suite et permettant une localisation précise du souvenir évangélique. »
De fait, dans le contexte chrétien médiéval, au temps des croisades et du développement des pèlerinages, la Terre sainte répond à la nécessité « d’ancrer sa croyance dans les traces tangibles de la vie du Christ », détaille Camille Rouxpetel. Elle se traduit par des pratiques : « les pèlerins ont besoin de voir, de toucher, d’embrasser », décrit la chercheuse. Le pape François, dans son discours à la custodie de Terre sainte en janvier 2022, avait ainsi déclaré que « faire connaître la Terre sainte signifiait transmettre le cinquième évangile ».
La Terre sainte désigne ainsi un territoire regroupant l’ensemble des lieux qui ont été liés, au cours de l’histoire, au souvenir de la vie de Jésus. C’est donc « une construction culturelle, historique, qui évolue dans le temps et dans l’espace », en fonction de l’identification et de la construction progressive des lieux saints. Ainsi, si la Terre sainte renvoie généralement au territoire d’Israël et à la Palestine, elle peut également évoquer des territoires voisins comme l’Égypte, où se développe un tourisme culturel et religieux dans les endroits où serait passée la Sainte Famille.
« Ce qui est sacré, c’est Dieu et ses créatures »
L’expression est ainsi emblématique d’une tension interne au christianisme, à la fois « religion spirituelle, selon laquelle Dieu est partout, et religion de l’incarnation qui affirme que le Christ est venu sur terre, et est passé dans des lieux précis où se développent aujourd’hui des pèlerinages ».
Pour le dominicain Jean-Jacques Pérennès, ancien directeur de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, cette expression porte ainsi en elle un risque : celui de sacraliser la terre. « Elle est sanctifiée par la démarche spirituelle que l’on y fait : depuis des siècles, des pèlerins viennent y faire mémoire de Jésus », développe-t-il, avant de mettre en garde : « Mais il ne faut pas vénérer des pierres. »
« Ce qui est sacré, c’est Dieu et ses créatures, mais pas la terre », poursuit-il, faisant un lien avec le conflit israélo-palestinien. « Aujourd’hui, on se dispute des hectares de terrain au nom du sacré. » Pour lui, cette « sacralisation » prisée par les « fondamentalistes » revient ainsi à « idolâtrer » certains lieux. D’autant que leur authenticité historique fait toujours débat.
En revanche, le dominicain reconnaît une légitimité à l’expression de « Terre sainte » si ces lieux « aident à faire mémoire de la vie de Jésus ». Par exemple, Bethléem, Nazareth, ou encore le lac de Tibériade, où a vécu Jésus avec ses disciples, évoquent davantage « une ambiance qui pousse à la prière. »