Dans le sillage de la célébration du 150° anniversaire de la naissance de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus, prenons le temps de méditer quelques instants un verset de la seconde lecture, tiré de la 1è lettre de Jean.
« Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le sommes », mais « ce que nous serons ne paraît pas encore clairement ». Tel est le paradoxe de notre sainteté : enfants de Dieu depuis notre baptême, nous sommes devenus participants de la nature divine (cf. 2 P 1, 4) « et par conséquent réellement saints » (V II, L.G. § 40). Il nous reste cependant à correspondre intérieurement à cette sainteté objective qui est à la fois un don et un dynamisme, comme la puissance de vie dans le germe de blé. La semence trouvera-t-elle une bonne terre pour germer et porter du fruit ?
« Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est. » Sur ce chemin vers la pleine ressemblance avec le Fils de Dieu, déceptions ou satisfactions de soi nous guettent. Désirer la sainteté est essentiel pour éviter de s’arrêter en cours de route. « Je ne veux pas être une sainte à moitié, dit Thérèse de Lisieux. Cela ne me fait pas peur de souffrir pour vous, je ne crains qu’une chose, c’est de garder ma volonté, prenez-la, car je « choisis tout » ce que vous voudrez ». Sa tante, Marie-Louise, sœur de sa mère Zélie, entre à 29 ans à la Visitation du Mans, en 1858, en déclarant : « Je viens ici pour être une Sainte1 ! » À croire que c’était un gêne familial…
« Est-ce que c’est de l’orgueil de vouloir être saint ? » Non, ce n’est pas de l’orgueil. C’est même la seule ambition légitime d’un enfant de Dieu. Jean-Paul II, dans sa lettre « En entrant dans le nouveau millénaire » de début 2001 écrivait (§ 31) : « Demander à un catéchumène : « Veux-tu recevoir le Baptême ? » signifie lui demander en même temps : « Veux-tu devenir saint ? » […] Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun ».
Avant d’être une ambition de l’homme, la sainteté est d’abord une ambition de Dieu pour l’homme. « Il nous a élus en lui, affirme saint Paul, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence, dans l’amour, déterminant d’avance que nous serions pour Lui des fils adoptifs par Jésus-Christ. Tel fut le bon plaisir de sa volonté, à la louange de gloire de sa grâce » (Ep 1, 3-6).
Entrer dans ce dessein d’amour du Père suppose de ne pas s’attacher à une image de la sainteté, souvent entachée d’illusions qui font vite place au découragement. Fascinée par le personnage de Jeanne d’Arc, Thérèse adolescente voudrait imiter ses exploits. Elle sent cependant que dans les récits chevaleresques de son enfance ne se trouve pas « le vrai de la vie ». Elle comprend que la sainteté n’est pas dans l’éclat des actions héroïques mais dans l’intensité de l’amour qui inspire nos moindres gestes, nos moindres paroles, nos moindres pensées.
Sa sainteté fut de ne pas chercher à fuir son quotidien, le vrai de sa vie à elle, mais d’y trouver précisément le lieu du plus grand amour. Elle s’offre à l’amour miséricordieux de Dieu parce qu’il lui semble qu’il serait « heureux de ne pas comprimer les flots d’infinie tendresse » qui sont en lui. Elle aime Dieu pour lui-même. Pour s’offrir à l’amour, les actes glorieux sont hors de sa portée. Elle ne s’en afflige pas : « La perfection consiste […] à être ce qu’il veut que nous soyons », pas ce que nous avions rêvé d’être.
Je cite le pape François, dans son exhortation « Réjouissez-vous et exultez » (n° 14) : « Nous sommes tous appelés à être des saints en vivant avec amour et en offrant un témoignage personnel dans nos occupations quotidiennes, là où chacun se trouve. Es-tu une consacrée ou un consacré ? Sois saint en vivant avec joie ton engagement. Es-tu marié ? Sois saint en aimant et en prenant soin de ton époux ou de ton épouse, comme le Christ l’a fait avec l’Église. Es-tu un travailleur ? Sois saint en accomplissant honnêtement et avec compétence ton travail au service de tes frères. Es-tu père, mère, grand-père ou grand-mère ? Sois saint en enseignant avec patience aux enfants à suivre Jésus. As-tu de l’autorité ? Sois saint en luttant pour le bien commun et en renonçant à tes intérêts personnels ».
Vivre les béatitudes jour après jour, en union avec Jésus, ne peut être qu’un don de la grâce qui nous façonne peu à peu à son image. Encore faut-il le vouloir et croire à cette sainteté que Dieu veut nous donner dans le vrai de notre vie, quelles que soient nos chutes et la difficulté du chemin.
En cette fête, les saints, présents au cœur de « la Cité du Ciel, notre Mère la Jérusalem d’en haut » comme le dit la préface de la Toussaint, nous invitent à les regarder pour les rejoindre un jour :
« Nous qui marchons vers elle par le chemin de la foi, nous hâtons le pas, joyeux de savoir dans la lumière ces enfants de notre Église que tu nous donnes en exemple ».
1Sa sépulture est enclose dans le périmètre du parc de la Maison Saint-Julien, avec celle des 108 autres visitandines enterrées au Mans, puisque le couvent de la Visitation se trouvait à cet endroit.