Vivre de l’amour livré

(6° dim. Pâques B — Jn 15, 9-17) Dans l’ensemble des discours d’adieux en Jean, le chapitre 15 aborde un thème nouveau : à travers la métaphore de la vigne1, nous sommes invités à demeurer en Jésus (expression répétée 11 fois), afin de devenir des apôtres qui portent du fruit (8 fois). Dans une seconde partie lue aujourd’hui, les motsaimeret ses dérivés amour et ami (12 fois), se multiplient et indiquent clairement à quelle source se nourrit la vie apostolique du disciple et de quel fruit il est question. Pour découvrir toutes les richesses de ce texte, la méditation personnelle convient mieux ; soulignons simplement quelques invitations de Jésus

Faire le choix de la vérité

Jésus se désigne comme « la vraie vigne ». Cette insistance sur l’authenticité de la vigne invite à la vigilance et à un jugement responsable. Si l’on devait approfondir cette invitation à distinguer l’authenticité des contrefaçons, on pourrait faire appel à bien d’autres paroles de Jésus : il est « la vraie lumière » (1,9), « le vrai pain du ciel » (6,32), son corps est « la vraie nourriture » et son sang « la vraie boisson » (6,55). Les croyants doivent décider s’ils accueillent Jésus comme source de leur salut en demeurant liés à lui pour avoir la vie et porter du fruit, ou s’ils rejettent cette invitation.

« En dehors de moi vous ne pouvez rien faire ». Pour le croyant moderne, sollicité par tant de propositions de sens, cette parole doit être une bouée dont il ne faut pas se défaire. S’il est vrai que Jésus est la Parole de Dieu, venant conduire la révélation à son terme, alors il doit rester, pour le croyant, la référence obligée (sans exclusive ni rejet pour des hommes sincères rattachés à d’autres courants religieux et humains).

Vivre le commandement

« Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour » (15, 9-10). L’amour du Père et du Fils s’exprime ici en termes de commandements. Le texte établit une équivalence entre demeurer en son amour et garder ses commandements.

Dans la tradition juive et biblique, le commandement a fonction d’enseignement pour les fils d’Israël et de voie à suivre pour parvenir à la plénitude. Il n’en est pas autrement ici. Le commandement d’amour est un impératif (demeurez !) qui garantit la vie de la communauté. Il s’exprime, ici, au pluriel comme s’il contenait à lui seul tous les commandements de la Torah, mais, surtout, comme si cet amour devenait lui-même surabondant.

Écouter l’homélie

Accueillir l’amour livré

« Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande » (15, 12-14). La voie à suivre et à garder consiste à vivre du commandement de l’amour mutuel, dont il a déjà été question peu après le lavement des pieds (13,34). L’amour prend tout sens à la lumière de la croix et de l’amour livré.

La communauté croyante est invitée à ancrer, à greffer, sa vie dans le témoignage d’amour livré du Christ. Cet amour livré représente tout l’amour du Père avec lequel il demeure en communion. Ainsi l’amour mutuel, puisant au mystère de la croix, témoigne de cet amour donné par Dieu. Il est le fruit, agréable à voir et bon à manger (Gn 2,9), vécu au sein de la communauté. Il représente un témoignage vivant, pour le monde. L’accueil actif de l’amour du Christ livré offre à la communauté croyante son identité propre.

Accepter le travail du vigneron

Porter du fruit signifie adhérer à Jésus dans la foi et l’amour, dans une attitude de conversion permanente, un amour qui soit signe pour le monde par sa qualité et son intensité. C’est l’exigence à laquelle se soumet chaque membre de la communauté chrétienne. Cette purification se vit à travers le travail intérieur de purification de la Parole du Fils ; et aussi les contradictions et les épreuves chargées d’émonder les sarments vivants afin qu’ils portent encore plus de fruits. Il ne faut pas omettre la réalité douloureuse de l’élimination des sarments secs qui ne portent pas de fruit. La perspective est menaçante et traduit un dualisme sans nuance entre les disciples fidèles et ceux qui se sont coupés de Jésus. Certaines communautés chrétiennes primitives ont été affrontées à des crises internes. Jean emploie pour le non-croyant la même image qu’il utilisait pour le Prince de ce monde : « il sera jeté dehors » (12, 31 et 15, 6). Dans sa lettre, Jean parle de ces chrétiens en rupture avec la communauté comme « ces antichrists qui n’étaient pas des nôtres » (1 Jn 2, 19). Pour aujourd’hui, le lecteur doit rester conscient des conséquences inévitables qu’entraînent ses choix, sachant que l’appel à la conversion demeure toujours présent dans la proposition de l’évangile.

Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous. Je vous appelle mes amis.

1Dans l’AT, voir Is 5,1-7 ; Is 27,2-4 ; Jr 2,21 : 6,9 ; Ez 15,1-8 ; 17,1-10 ; 19,10-14 ; Os 10,1 et Ps 80,9-20.