J’attends le futur

La Croix du 13/10/2022, Pierre Bienvault

« Je veux croire que ce procès n’est pas une histoire du passé mais d’avenir », a expliqué, jeudi 13 octobre, une adolescente de 15 ans à la cour d'assises de Paris. Myrtille, la plus jeune des victimes ayant témoigné depuis le début du procès, a dit espérer arriver un jour « à voir un futur sans rester enchaînée » au souvenir de l’ attentat.

Au procès de l’attentat de Nice, les mots lumineux de Myrtille, 15 ans, tournée vers l’avenir

Ce sont des feuilles à grands carreaux. Six feuilles en tout, remplies d’une écriture fine avec, ici ou là, des phrases surlignées en vert. Cela ressemble à un devoir d’école, c’est une déposition destinée à une cour d’assises dans un procès pour terrorisme.

Ce jeudi 13 octobre, Myrtille arrive à la barre avec ses feuilles à la main. Une lycéenne de 15 ans, entrée cette année en classe de seconde. La plus jeune partie civile entendue depuis le début de ce procès. En début de semaine, le président Laurent Raviot s’est opposé à ce qu’une fillette de 10 ans vienne témoigner. Mais il a accepté que Myrtille s’exprime ce matin à la barre accompagnée de son père. « J’ai confiance. Cela va bien se passer. Elle est sereine et mature », confiait la veille son avocate, Me Olivia Chalus-Pénochet.

Elle « chassait les Pokémon »

Et c’est vrai qu’elle est impressionnante, cette adolescente, à la fois frêle et forte, avec ces mots précis, pudiques et réfléchis qu’elle lit à la cour d’assises. D’abord pour raconter cette soirée du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais. Myrtille avait 9 ans et ce soir-là, avant le feu d’artifice, elle « chassait les Pokémon avec l’application de son téléphone ». C’est son père, Kevin, qui raconte ce détail. Myrtille, elle, se souvient
« avoir parlé de la température agréable » qui régnait et avoir dit qu’elle aimerait que « tous les soirs soient comme celui-là ».

Les enfants doivent-ils témoigner au procès de l’attentat de Nice ?

Comme aujourd’hui dans le prétoire, père et fille étaient venus tous les deux ce 14 juillet pour voir le feu d’artifice. Ils faisaient du roller quand le camion du terroriste a surgi, en faisant des zigzags. « Je n’ai pas compris ce qui arrivait. J’ai cru à un accident. Que peut-être que le chauffeur avait perdu le contrôle, qu’il s’était endormi. À ce moment, j’avais plus peur pour lui », raconte Myrtille. Autour d’elle, la fillette voit alors des gens sauter par-dessus les rambardes, côté mer. Mais avec ses rollers, elle ne peut pas faire de même. « Je ne savais plus quoi faire. J’ai cette image encore régulièrement de moi devant la mort, ne pouvant plus rien faire. Cette impression où plus rien n’est possible. »

Au dernier moment, le père de Myrtille la tire par le bras pour la projeter sur le côté droit alors que le terroriste donne un coup de volant de l’autre côté. Le 19 tonnes les frôle sans les toucher. Tous les deux se relèvent et voient accourir un homme pour leur porter secours. « Il est ensuite parti apporter son aide si précieuse à d’autres personnes », raconte Myrtille. Bien que son père lui demande de ne surtout pas relever la tête, elle voit une silhouette allongée sur le sol. « Les gens criaient, hurlaient, c’était le chaos. »

Sur le chemin du retour à la maison, Myrtille appelle sa mère. « Quand elle a décroché, elle pleurait. Elle était au courant que nous allions voir le feu d’artifice. Elle était au courant de ce qui s’était passé par les infos. C’est quand je l’ai entendue pleurer que j’ai compris que quelque chose d’encore plus horrible que ce que j’avais pu voir et que ce je pouvais imaginer était arrivé. »

« La moindre surprise me terrorise »

À la barre, Myrtille a la voix qui tremble, mais elle ne flanche pas. Elle poursuit son récit en parlant de la vie après l’attentat. De ces semaines, ces mois à pleurer au collège. Ces « nuits sans sommeil », sa solitude, ses crises de panique. De ce « quotidien où les voitures font peur », « les feux d’artifice, les pétards n’ont plus rien de festif ou d’amusant mais me glacent le sang, où la moindre surprise me terrorise ». De cette vie de tous les jours « où j’ai l’impression que la fatalité de ce soir-là ne m’a pas quittée ».

Puis Myrtille dit qu’elle n’attend pas que cette audience puisse lui retirer ce « poids » qu’elle a sur les épaules. « Ce que j’attends de ce procès, c’est le futur. Dieu ni personne ne peut changer les événements de ce soir-là. Mais j’espère et je veux croire que ce procès n’est pas une histoire du passé mais d’avenir. Qu’il soit compliqué, beau, tumultueux, peu importe. Et j’espère que, même avec ce poids, j’arriverai, ainsi que toutes les victimes, à voir un futur sans rester enchaînée à ce passé. »

Et dans ce prétoire, enseveli depuis près de quatre semaines sous un océan de souffrance et de désespoir, chacun écoute, pétrifié, les mots de cette adolescente meurtrie mais le regard résolument tourné vers demain. « Alors peut-être que nous avancerons plus lentement, mais nous avancerons, chacun à notre rythme. Et peut- être qu’un jour, nous aurons le sentiment d’être assez loin pour nous détacher d’un peu de ce poids. C’est ce que j’attends de ce procès. J’attends le futur. »

Pierre Bienvault