Madame Frédéric Ozanam

David Roure, La Croix du 28 avril 2022

Cette biographie fait entrer dans l’intimité d’Amélie Ozanam, qui consacra une grande partie de son long veuvage à faire connaître l’œuvre de son mari, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.

Amélie Ozanam. Une vie, 1820-1894

de Matthieu Brejon de Lavergnée, Salvator, 222 p., 20 €

En août 1997, lors des Journées mondiales de la jeunesse, le pape Jean-Paul II béatifiait Frédéric Ozanam et présentait le nouveau bienheureux aux jeunes présents à Notre-Dame de Paris comme un modèle à suivre pour devenir des « chrétiens authentiques ». Depuis, cet événement a permis de faire redécouvrir un homme né en 1813, mort prématurément à 40 ans, à la vie pourtant bien remplie et tout orientée par sa foi vivante au Christ. Il fut ainsi très attentif aux plus démunis de la société de l’époque, pour lesquels il fut un des fondateurs de la Société de Saint-Vincent-de-Paul.

Chrétien convaincu pleinement enraciné dans la société de son temps, il s’efforça toute sa vie de réconcilier à la fois la science avec le christianisme, mais aussi l’Église catholique avec l’État et le monde intellectuel ou politique. Il fut aussi, selon les mots de Jean-Paul II, un « précurseur de la doctrine sociale de l’Église ». Enfin, il fut un universitaire brillant et, à sa mort, il avait déjà publié nombre d’ouvrages unanimement salués par ses confrères.

Après Ozanam, le compatissant : 1813-1853 (Éd. Lethielleux), biographie relativement courte de Frédéric Ozanam par Aimé Richardt parue en 2019, Matthieu Brejon de Lavergnée s’intéresse à son épouse. Elle fut son indéfectible soutien tout au long de sa vie, et même au-delà puisqu’elle consacra une grande partie de son long veuvage à éditer de la manière la plus exhaustive possible les œuvres laissées par son mari. En effet, Amélie Ozanam mérite d’être connue, ne serait-ce parce qu’elle est assez représentative de son milieu d’origine, la bourgeoisie intellectuelle catholique et provinciale du XIXsiècle que l’auteur, spécialiste de l’histoire sociale et religieuse de ce temps, connaît bien pour avoir soutenu en 2006 une thèse sur la Société de Saint-Vincent-de-Paul à Paris (1833-1871). Fille du recteur d’académie de Lyon Jean-Baptiste Soulacroix, Amélie accepte fin 1840, à tout juste 20 ans, la demande en mariage que lui fit Frédéric Ozanam, tout jeune agrégé de lettres et déjà enseignant à la Sorbonne. Le mariage eut lieu en juin 1841 en l’église Saint-Nizier, paroisse des Soulacroix. Le père d’Amélie, qui a obtenu à la fin de sa vie un poste haut placé à Paris au ministère de l’instruction publique, meurt relativement jeune, en 1848, juste après son fils Théophile, frère chéri d’Amélie. Ce n’est pas le cas de sa femme, née Zélie Magagnos (1798-1882) en Virginie mais originaire d’une famille de négociants de Toulon, qui gardera une grande proximité avec sa fille et son gendre.

Ces derniers auront, après deux fausses couches d’Amélie, une seule fille, Marie, née en 1845, sur l’éducation de laquelle sa mère veillera avec grand soin après le décès de son cher époux. Elle sera très heureuse du beau mariage de Marie, en 1866, avec Laurent Laporte, d’une riche famille de négociants lyonnais. Amélie vivra assez longtemps pour se réjouir de l’entrée à Polytechnique du fils du jeune couple, prénommé Frédéric.

Au-delà de cet itinéraire conjugal et familial assez courant à cette époque-là, y compris avec la mort prématurée du mari dont elle accompagna avec un soin sans faille la longue maladie, ce petit livre nous fait entrer dans l’intimité d’une femme qui acquit peu à peu une réelle indépendance, surtout à partir de son veuvage (qui couvrit plus de la moitié de sa vie). Elle choisit de ne jamais se remarier et, comme elle l’avait fait avec son époux, continuera à voyager, en particulier en Italie, où elle sera reçue en audience par Pie IX en 1856 avec sa mère et sa fille.

Matthieu Bréjon de Lavergnée fait encore découvrir une chrétienne à la foi vivante qui, à la suite de son mari, ne la réduisait pas à ses seules pratiques de piété, mais voulait aussi l’incarner dans le monde et la société en pleines mutations où elle vivait. Cela nous la rend étonnamment moderne et proche, tant de décennies après… Une proximité nourrie par les nombreux extraits inédits des lettres qu’elle écrivit tout au long de sa vie, 70 pages proposées en fin de volume.